4 nouvelles doctorantes au Département des études contemporaines
Le Département des études contemporaines accueille cette année 4 nouvelles doctorantes à Amman, Beyrouth et Erbil. Elles conduisent des recherches dans plusieurs domaines des sciences sociales et humaines (migration, études urbaines et histoire politique).
Solenn Al Majali – Ifpo Amman
Alexia Al-Azzawi Martin – Ifpo Erbil
Héloïse Peaucelle – Ifpo Amman
Rouba Wehbe – Ifpo Beyrouth
Solenn Al Majali est doctorante en anthropologie au laboratoire Telemme de l’université d’Aix-Marseille et poursuit ses recherches à l’Ifpo d’Amman depuis octobre 2018. Après avoir obtenu une licence de philosophie (Paris IV), elle a effectué un master pluridisciplinaire sur les mondes arabe, musulman et hamito-sémitique à l’université d’Aix-Marseille. Au cours de sa première année de master, elle a réalisé un travail de recherche portant sur les interactions entre les réfugiés syriens et la population locale en Jordanie ainsi que sur leur processus de reconstruction en exil. Elle a essayé de cerner comment par le biais des initiatives humanitaires des Syriens en Jordanie se joue l’édification du devenir de la société syrienne. Elle s’intéresse désormais aux migrants forcés yéménites, somaliens et soudanais venus pour la plupart à Amman dans le but d’obtenir le statut de réfugié auprès du Haut-Commissariat aux Réfugiés et d’être réinstallés dans un pays tiers.
Il s’agit tout d’abord de s’intéresser aux trajectoires de ces réfugiés issus de pays non transfrontaliers au Royaume hachémite. Les Yéménites connaissent des mobilités anciennes à Amman, notamment pour des traitements médicaux et/ou des études universitaires. Ils réinvestissent ainsi des voies anciennes de mobilité pour se rendre en Jordanie dans le contexte nouveau de l’exil (c’est également le cas des Somaliens du Yémen et des métis Yéménites-Somaliens). Quant aux Somaliens et Soudanais, ils choisissent souvent en dernier recours la Jordanie comme pays de refuge afin d’accéder à l’institution des Nations Unies et candidater à une réinstallation dans un pays tiers. Leur entrée en Jordanie par le biais de visas réguliers (largement médicaux) tend à brouiller la perception du HCR et des ONG qui sont tentés de les considérer comme des « migrants économiques » venus en vue de dénicher des opportunités professionnelles. Comment l’arrivée d’exilés yéménites, somaliens et soudanais en Jordanie réinterroge-t-elle la pertinence de l’étanchéité des frontières entre « réfugié » et « migrant » ? Par ailleurs, avant de s’établir au Royaume hachémite, les Somaliens résidaient pour la plupart soit en Arabie Saoudite soit au Yémen. De même que les Yéménites ont des relations anciennes avec le Royaume wahhabite. Dans quelle mesure la Jordanie peut-elle être un territoire de repli quand les politiques discriminatoires (telles que la politique de « saoudisation ») empiètent sur les perspectives professionnelles et personnelles des « étrangers » somaliens et yéménites ?
Le premier pan de cette recherche se propose d’étudier l’accès à l’aide humanitaire de ces réfugiés qualifiés de « non-syriens » par l’agence onusienne. Il s’agira en effet de se demander dans quelle mesure le critère de la nationalité du bénéficiaire joue un rôle dans l’accès aux services du HCR et aux Organisations Non Gouvernementales internationales et locales. Quels types d’inclusion ou d’exclusion sont induits par les modes de fonctionnement des acteurs humanitaires en Jordanie ? En quoi le système d’assistance aux réfugiés en Jordanie tend-il à forger des « communautés » de migrants forcés ? En outre, comment les politiques suivies par l’agence onusienne ainsi que les perceptions de l’aide humanitaire par les différentes « communautés » de réfugiés s’influencent réciproquement ? Dans un contexte d’un traitement différencié des réfugiés selon leur nationalité, il s’agit de mettre en lumière l’émergence de stratégies endogènes et exogènes de mise en visibilité de ces réfugiés non-syriens et de la production d’un discours critique sur le rôle du HCR.
Étant des réfugiés urbains, il convient également de se pencher sur les modalités d’insertion des Yéménites, Somaliens et Soudanais dans la capitale jordanienne. Amman est appréhendée dans le cadre d’une temporalité provisoire qui dure en raison de l’accueil restreint des pays de la réinstallation. Comment la « sur-visibilité » que présentent les réfugiés « africains » dans certaines localités d’Amman peut-elle rendre plus ardue leur appropriation de l’espace public jordanien ? Comment les individus se réfèrent-ils aux catégories ethniques d’« Arabe » et d’ « Africain » exacerbées au cours de l’exil ? Quel impact l’exil en Jordanie a-t-il sur l’identité de ces migrants forcés ? Par ailleurs, quelles sociabilités se tissent entre les réfugiés soudanais, yéménites, somaliens et les métis yéménites-somaliens qui investissent largement les quartiers ammanis du premier et du deuxième cercle ? Les exilés yéménites plus aisés et anciens partisans du président Ali Abdallah Saleh tendent, eux, davantage à s’installer dans la localité d’al-Jbeiha où la présence de leurs concitoyens et de restaurants yéménites est ancienne. Ainsi, comment des frontières sociales et ethniques se redessinent-elles en exil ?
Alexia Al-Azzawi Martin mène une thèse en histoire depuis octobre 2016 au CHERPA sous la direction de Walter Bruyère-Ostells, Professeur d’histoire contemporaine à Sciences po Aix. Diplômée de Sciences po Lyon et de Sciences po Aix en Provence, elle a été chargée de cours à Sciences Po Aix et à l’Ecole de l’Air de Salon de Provence. Elle se rend régulièrement en Irak depuis 2014. Elle poursuit ses recherches cette année à l’Ifpo d’Erbil dans le cadre du dispositif d’Aide à la Mobilité Internationale (AMI).
Ses recherches portent sur les enjeux d’une nouvelle « question tribale » en Irak (1925-1990). Le cas des al-ashaer de Tikrit. La prise de conscience de l’importance des pétroles de Mossoul induit des changements d’échelle, la formulation et la mise en place de stratégies de prospection, d’extraction et surtout d’industrialisation qui affecte le paysage local, national et régional. Partant de ce point de rupture, il s’agit notamment de penser la stabilité et la permanence du rôle des tribus, dans une société irakienne traversée par de nombreux processus de recompositions sociales et politiques, et de ré-évaluer la portée des logiques tribales. Il s’agit aussi de réfléchir aux usages des solidarités primordiales, et à leurs effets dans le cadre de la formulation politique d’une question communautaire. Questionner le paradigme de la tribu impose une réflexion sur l’historiographie irakienne, de croiser les récits produits sur le fait tribal, d’une part par la recherche, et d’autre part, par le régime ba’thiste. Celui-ci n’a eu de cesse de convoquer le paradigme tribal de manière différente. Partant du constat que la description des processus et des formes d’organisation sociale tribales sont souvent convoqués dans le cadre d’une réflexion sur la formation de l’Etat, elle s’interroge : les rapports de force en Irak peuvent-ils être seulement envisagés sous le prisme d’une faillite du service public ou du communautarisme ? Comment fonde-t-on l’autorité des shaykhs ? Qu’est-ce qui permet de différencier le travail social des tribus de l’aide humanitaire ? Il est question également des reconfigurations tribales en situation de déplacement interne, voire d’exil, à la suite des différents épisodes conflictuels ou insurrectionnels en Irak, qui ont façonné les modes de pensée et affecté les pratiques locales de certaines unités tribales. Ce travail intéresse des questions aussi vastes mais profondes que celle des identités, de la réflexivité (avoir accès à ma propre ambivalence mais également conscientisation et capacité réflexive de ces sociétés humaines), de la circulation et de la transmission.
Héloïse Peaucelle est doctorante en géographie au sein de l’équipe Monde Arabe et Méditerranée du laboratoire Citeres, à l’Université de Tours. Pendant ses études de géographie et d’urbanisme, elle a travaillé en Jordanie sur les thématiques de la valorisation patrimoniale et des politiques urbaines, notamment celle du logement social. Diplômée d’un Master en urbanisme et aménagement du territoire, spécialisé sur les politiques urbaines dans l’espace euro-méditerranéen, elle a ensuite travaillé dans un bureau d’études à la conception de projets urbains en France et à l’étranger, avant de s’orienter vers la coopération internationale et le développement. Son projet de thèse s’inscrit dans le cadre d’un partenariat entre l’Ifpo et l’AFD sur « les modes d’habiter et d’accès aux services essentiels des populations vulnérables et réfugiées dans les villes au Liban et en Jordanie ». Les thèmes de recherche investis concernent les migrations internationales, la transformation des territoires et la fabrique des villes au Moyen-Orient.
En analysant différents secteurs des services urbains comme l’accès au logement et aux services de bases (eau, énergie, traitement des déchets) et en comparant différentes temporalités, il s’agira d’une part de distinguer les dysfonctionnements d’infrastructures engendrés par la crise syrienne de ceux préexistants, et d’autre part, de relever les effets positifs, signe d’adaptation et de résilience territoriale, qui se traduisent notamment par le développement du secteur informel ou illégal. L’étude de ce secteur placera les pratiques des populations migrantes comme leviers du développement urbain, favorisant l’émergence de nouvelles centralités urbaines et le développement d’activités et d’usages. Le rôle des organisations internationales, non gouvernementales, des milieux associatifs et humanitaires et des pouvoirs locaux et nationaux sera cartographié et analysé. Quels sont les outils d’accompagnement mis en place qui permettent au mieux de répondre aux besoins de ces populations ? Comment sont-ils facteurs de cohésion sociale ou à l’inverse comment génèrent ils de la ségrégation ? Quels relais et appropriations par les habitants ? Comment se traduit l’hospitalité jordanienne ? Comment adapter les actions qui permettront d’accompagner la transition de l’aide humanitaire d’urgence vers l’aide au développement et à la lutte contre la pauvreté ?
Beaucoup de réfugiés syriens en Jordanie sont d’origine rurale et des provinces du sud de la Syrie. Ils ont connu des parcours migratoires complexes, traversant successivement des camps, des quartiers urbains et des périphéries de villes, plus accessibles financièrement. L’analyse des parcours et des pratiques importées ou développées par les Syriens permettra de saisir l’articulation entres centralités urbaines et lieux de vie de ces populations. La transition du rural vers l’urbain de ces populations sera analysée, ainsi que les parcours complexes des migrants, fabriquant ainsi des usages urbains et péri-urbains singuliers. Comment s’effectue la transmission des pratiques entre territoire de départ et territoire d’accueil ? Comment qualifier les espaces urbains et les transformations sociales et matérielles qui s’y opèrent ? La recherche s’intéressera aux aspirations futures des nouveaux habitants, leurs perspectives de mobilité, de retour, ou la volonté de rester, en les associant aux contraintes géopolitiques régionales ; l’objectif sera de comprendre dans quelles temporalités s’inscrit la présence des populations syriennes dans les milieux urbains étudiés.
Rouba Wehbe est actuellement doctorante à Sciences Po, Paris. Architecte et urbaniste de formation, elle a travaillé comme consultante auprès de plusieurs bureaux d’études et organisations non gouvernementales à Beyrouth. Pour ce qui est de l’activité académique, elle a enseigné dans la faculté de design de l’Académie Libanaise des Beaux-Arts, ALBA, ainsi qu’à la Lebanese American University (LAU). Depuis 2015, elle participe périodiquement à des conférences et échanges académiques et professionnelles, auxquels elle a présenté de nombreux documents portant sur la stigmatisation urbaine, la violence et la production du logement.Son projet de thèse s’inscrit dans le cadre d’un partenariat entre l’Ifpo et l’AFD sur « les modes d’habiter et d’accès aux services essentiels des populations vulnérables et réfugiées dans les villes au Liban et en Jordanie ».
Cette recherche proposera une extension de la théorie de la Rent-Gap afin d’analyser les régimes de régulation urbaine se procurant dans un contexte de destruction, de réfugiés et d’informalité urbaine. Dans une approche comparative, la recherche essayera de comprendre les différents enjeux, d’un côté, ceux de la crise des réfugiés au Liban logés majoritairement dans le secteur informel, et de l’autre côté, ceux de la reconstruction syrienne qui s’appuie principalement sur les quartiers irréguliers. En étudiant les mécanismes de la construction de la propriété, les composantes de la rente foncière et les régimes de la régulation urbaine dans l’informel, cette recherche explorera les modes de la sécurisation des tenures foncières en Syrie, dans un quartier informel dans la banlieue de Damas, à présent en pleine reconstruction et au Liban, et dans un quartier mitoyen du camp Chatilla à haute concentration du parc dit « le parc de l’OLP », où logent désormais des réfugiés Palestiniens et Syriens. L’important flux de réfugiés à Beyrouth suscite une nouvelle performance de la rent-gap, observée dans « le parc de l’OLP », incitant ainsi à réfuter la littérature considérant la crise des réfugiés comme le miroir de la crise urbaine. Les réfugiés sont une source de rente importante pour un secteur informel très large à Beyrouth.
De l’autre côté, et dans le cadre d’une performance plus classique de la rent-gap, la capitalisation de l’importante rente potentielle créée dans « les quartiers de la reconstruction Syrienne » reste conditionnée par la circulation espérée d’un capital à l’échelle régionale, voire à l’internationale, mais aussi par la « non-circulation » des réfugiés vers leur quartiers d’origine.
Crédits photographiques
S. Al Majali, mars 2018, Amman (Jordanie) L’organisation « Sawiyan » organise régulièrement des séances de skateboard pour les réfugiés soudanais. Le parc 7hills Skatepark est implanté au cœur de la ville Amman
A. Al-Azzawi, Janvier 2019, Tikrit (Iraq) Tableau récapitulatif non daté des dawawin de Tikrit
H. Peaucelle, Décembre 2018, Amman (Jordanie) Phénomène de surtension dû à l’accumulation de branchements électriques dans une rue à forte présence syrienne au sein du camp palestinien de Wahdat
R. Wehbe, Septembre 2017, Beyrouth (Liban), Destruction et reconstruction dans le quartiers de Hamra